Cour nationale du droit d’asile (France), 4 octobre 2021, n° 21019250
cedie | Louvain-la-Neuve
Libéria – Enfant soldat – Persécutions – Séquelles physiques et psychiques – Statut de réfugié.
La Cour nationale du droit d’asile de la France a rendu son arrêt dans l’affaire opposant M. C., ancien enfant soldat de nationalité libérienne, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans cet arrêt, la Cour confirme la relativité de l’actualité de craintes de persécutions lorsque les persécutions antérieures sont d’une exceptionnelle gravité entrainant des séquelles jusqu’au moment de la décision.
Alfred Ombeni Musimwa
A. Arrêt
Le 4 octobre 2021, la Cour nationale française du droit d’asile (ci-après, la Cour) a rendu son arrêt dans l’affaire opposant M. C. contre l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après, OFPRA). Le présent commentaire met en lumière les enseignements de cet arrêt (B) tirés des faits de la cause (1) et de la décision de la Cour (2).
1. Résumé des faits
M. C. est de nationalité libérienne, né le 15 août 1989. L’année de sa naissance, son père est assassiné par des rebelles du mouvement armé de Charles Taylor. En 2001, alors qu’il est âgé de 12 ans, les forces paramilitaires du gouvernement libérien assassinent sa mère, enlèvent sa sœur, tandis que lui-même est arrêté, soumis à des mauvais traitements et emprisonné pendant trois jours. Espérant venger ses parents et retrouver sa sœur, il rejoint alors le groupe rebelle « Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie » (Liberians United for Reconciliation and Democracy – ci-après, LURD) qui combat les forces gouvernementales. Il a alors subi un entrainement à la lutte armée au cours duquel il a été soumis à des menaces, à des violences et a été contraint de prendre part à des exactions sous l’emprise des stupéfiants administrés par force. En 2013, M. C. parvient à fuir ce groupe armé, à l’âge de quatorze ans, et se rend aussitôt en Guinée. En raison de sa religion chrétienne, il subit des violences physiques infligées par le père de sa compagne, opposé à leur union. Il fuit la Guinée en 2016 et arrive en France le 5 septembre 2018 où il introduit une demande d’asile.
Le 26 février 2021, l’OFPRA rejette la demande d’asile de M. C. Ce dernier saisit la Cour le 27 avril 2021.
2. Teneur du recours
M. C. demande à la Cour d’annuler la décision du directeur général de l’OFPRA qui rejette sa demande d’asile et de lui reconnaitre la qualité de réfugié, ou à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Il soutient qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, du fait des autorités, de ses anciens compagnons et de la société libérienne dans son ensemble en raison de son appartenance au groupe LURD, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités (pt. 3).
3. Décision de la Cour
Dans sa délibération, la Cour ne remet pas en cause les déclarations de M. C. qu’elle qualifie de « précises et personnalisées […] circonstanciées et empreintes d’une émotion non feinte » décrites en des termes « spontanés et illustrés » lors d’un discours « solide et particulièrement personnalisé » (pt. 4). Elle considère que l’enrôlement de M. C. au sein du LURD alors qu’il n’était âgé que de douze ans peut être regardé comme un crime de guerre de la part des dirigeants de ce groupe rebelle, constitutif de persécutions. Elle conclut qu’il ne saurait être tenu pour responsable des exactions qu’il a commises en tant qu’enfant soldat. Par ailleurs, la Cour tient compte du très jeune âge de M. C. au moment des faits, de son extrême vulnérabilité résultant de la disparition des membres de sa famille, des persécutions antérieures d’une extrême gravité et de l’intensité et de la permanence des séquelles physiques et psychiques qu’il conserve, pour juger fondé son refus de retourner dans son pays d’origine et de se réclamer de la protection des actuelles autorités libériennes. En conséquence, elle annule la décision du directeur général de l’OFPRA et reconnait à M. C. la qualité de réfugié.
B. Eclairage
Aux termes de l’article 1er, A (2) de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après, Convention), doit être considérée comme réfugiée, toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Il découle de cette disposition plusieurs critères permettant qu’une personne soit éligible au statut de réfugié, et à condition qu’aucune des dispositions conventionnelles relatives à l’exclusion (art. 1er, F de la Convention) ne s’applique. Parmi ces critères figure une « crainte avec raison ».
1. Crainte avec raison comme critère d’évaluation du bien-fondé de la demande d’asile
Ce dernier critère est double, en ce qu’il contient un élément subjectif « la crainte », et un élément objectif « avec raison ». L’idée est que l’autorité de protection doit évaluer si la crainte de persécutions du requérant est fondée au moment où la décision relative à sa demande d’asile est prise (Guide pratique de l’EASO : Conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, 2018, p. 21). Dans cette affaire, la Cour n’a pas établi le bien-fondé actuel des craintes de M.C. en cas de retour dans son pays. À ces propos, la Cour constate qu’ « il ne résulte […] pas de l’instruction, eu notamment égard au changement de contexte profond intervenu au Libéria depuis le départ de Charles Taylor, que M. C. pourrait être inquiété en cas de retour dans son pays pour avoir appartenu au LURD entre 2001 et 2003 [… et que], ses déclarations, trop générales et imprécises, n’ont pas permis d’établir qu’il pourrait être identifié près de 20 ans après son départ, et faire l’objet de ciblage l’exposant à des risques pour sa sécurité » (pt. 5).
L’asile conventionnel, tout comme la protection subsidiaire reposent, non pas sur la persécution en tant que telle, mais sur la crainte de subir des persécutions ou des atteintes graves. Il n’est donc pas nécessaire que le demandeur d’asile ait subi des persécutions. À l’opposé, une personne peut en avoir subi sans pour autant en craindre à l’avenir. En d’autres termes, la crainte fondée du demandeur doit être actuelle. L’actualité de cette crainte n’est pas expressément mentionnée dans la Convention, mais en général, l’éligibilité à la protection internationale nécessite une crainte présente ou future d’être persécuté. Ainsi, certaines circonstances peuvent ôter aux craintes leur caractère d’actualité, notamment le changement de circonstances dans les pays d’origine du requérant. En principe, cela rend impossible la reconnaissance de la qualité de réfugié[1] comme cela ressort de la jurisprudence française (voir notamment: CRR, 5 février 2003, M.S. n° 02009635/407346 R, CRR SR, 18 janvier 2006, M. S. n° 03087384/457399 R ; et CNDA 2 novembre 2010, M. S. n° 08008523 R). Toutefois, une telle conclusion ne tient pas compte de la situation personnelle du requérant.
2. La prise en compte des persécutions antérieures à l’absence de craintes actuelles
En droit international, plusieurs dispositions proscrivent la participation directe des enfants de moins de quinze ans aux hostilités. Il en est ainsi de l’article 77.2 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) du 8 juin 1977 ; de l’article 38 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 ; et 8.2.b.xxvi du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. De plus, les Principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après, HCR) sur la protection internationale du 22 décembre 2009 (ci-après, Principes directeurs) notent que « l’enrôlement forcé et l’enrôlement en vue de la participation directe à des hostilités d’un·e enfant de moins de 18 ans dans les forces armées de l’État constitue de la persécution […] De même, l’enrôlement de tout·e enfant de moins de 18 ans par un groupe armé distinct des forces armées d’un État est considéré comme de la persécution » (§ 21). En l’espèce, alors qu’il était âgé de douze à quatorze ans, M. C. a participé activement aux hostilités au sein du LURD, ce qui peut être considéré comme un crime de guerre au regard du droit international, et constitutif de persécutions au regard des Principes directeurs. Mais, il s’agit là des persécutions passées et qui n’induisent pas l’actualité du besoin de protection. L’exception à cette exigence de craintes actuelles figure à l’article 1, C (5) de la Convention. En effet, cette disposition introduit la notion des « raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures » comme motif de demande d’asile.
La lecture de la jurisprudence, notamment française, permet de dégager deux exceptions à la condition liée à l’actualité du besoin de protection. La première tient à l’asile constitutionnel. Dans l’affaire Zitouni[2], la Commission française de recours des réfugiés note que les persécutions passées n’ont pas à être actualisées pour justifier une demande d’asile. Ensuite, dans le cadre de l’asile conventionnel qui nous intéresse ici, la Cour admet que les séquelles psychiques que conserve M. C. puissent à titre exceptionnel faire échec à la condition d’actualité de craintes. Cet arrêt vient asseoir et préciser la jurisprudence de la Cour sur les « persécutions antérieures d’une exceptionnelle gravité » comme exception à l’actualité de craintes de persécutions.
3. Conclusion
L’accès à l’asile est subordonné à la condition d’une crainte (personnelle et) actuelle de persécutions. Les autorités d’asile et en particulier l’OFPRA et la Cour statuent en fonction de la situation du pays d’origine considérée au moment de la prise de décision et non au moment de la fuite du requérant (de son pays d’origine). Toutefois, lorsque les persécutions antérieures sont d’une exceptionnelle gravité au point de provoquer des séquelles physiques ou psychiques qui se prolongent jusqu’au moment de la décision, cela suffit à fonder la demande d’asile et par conséquent, à justifier le refus du requérant à se réclamer de la protection des autorités de son pays. La Cour reconfirme cette exception sur la base de l’article 1, C (5) de la Convention comme une « raison impérieuse » fondant le refus de M. C. de retourner dans son pays et de se réclamer de la protection des actuelles autorités libériennes.
C. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt : France : Cour nationale du droit d’asile, 4 octobre 2021, M. C., N° 21019250.
Jurisprudence :
CRR, 5 février 2003, M.S. n° 02009635/407346 R.
CRR SR, 18 janvier 2006, M. S. n° 03087384/457399 R.
CNDA 2 novembre 2010, M. S. n° 08008523 R.
CRR, 25 juin 1999, Contentieux des réfugiés : jurisprudence du Conseil d’État et de la Commission des recours des réfugiés, (recueil annuel et bulletins trimestriels), année 2003, CRR-Centre d’information juridique.
Doctrine :
J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 1.
Espoir d’asile, Les critères d’admission à la protection, 2012.
European Asylum Support Office, Guide pratique de l’EASO : Conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, Luxembourg, avril 2018.
HCR, Détermination du Statut de Réfugié, Genève, 1er septembre 2005.
HCR, Principes directeurs sur la protection internationale, 22 décembre 2009.
M. Denis-Linton et F. Malvasio, Trente ans de jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile et du Conseil d’État sur l’asile, spécialement les pages 29 à 35.
Pour citer cette note : A. Ombeni, « L’inactualité de craintes de persécutions n’exclut pas la reconnaissance de la qualité de réfugié », Cahiers de l’EDEM, Mars 2022.
[1] Espoir d’asile, Les critères d’admission à la protection, 2012.
[2] CRR, 25 juin 1999, Contentieux des réfugiés : jurisprudence du Conseil d’État et de la Commission des recours des réfugiés, (recueil annuel et bulletins trimestriels), année 2003, CRR-Centre d’information juridique.