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Conseil constitutionnel français, 28 mai 2024, Mohamed K.

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
9 October 2024, modified on 18 December 2024

Régime de retenue – Contrôle des mesures privatives de liberté – Droit à l’alimentation – Droit à la dignité humaine – Office de l’autorité judiciaire – Application dans le temps.

En 2012, la France a introduit, dans son arsenal des dispositifs de contrôle des étrangers, la procédure de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour. L’article L. 813-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit les mentions obligatoires du procès-verbal de retenue, ne visait pas le droit à l’alimentation de l’étranger. Or, par cette procédure, celui-ci était susceptible d’être retenu jusqu’à 24 heures dans les locaux de la police. Le Conseil constitutionnel censure la disposition litigieuse, car elle ne respecte pas la protection accordée en France à la dignité humaine lorsqu’est mise en œuvre une mesure privative de liberté. Cependant, au regard des effets excessifs qu’entraînerait la censure, le Conseil décide de reporter l’abrogation de la disposition au 1er juin 2025.

Hugo Avvenire

A. Arrêt

Le 28 février 2024, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt no 178 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité, conformément aux dispositions de l’article 61-1 de la Constitution. Cette question porte sur la conformité de l’article L. 813-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile[1] (ci-après, CESEDA) aux droits et libertés garantis par la Constitution française. Le 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel annule la disposition. Il la juge inconstitutionnelle au regard du principe de protection de la dignité humaine.

1. Faits

– Contexte

Avant 2012, un étranger en situation irrégulière pouvait être placé en garde à vue du chef de séjour irrégulier[2]. Dans sa décision El Dridi du 28 avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne avait cependant rappelé que la directive « retour » du 16 décembre 2008, qui autorise les États à prendre des mesures coercitives afin d’assurer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, s’oppose à ce que le séjour irrégulier soit érigé en infraction pénale. Par trois arrêts du 5 juillet 2012, la Cour de cassation avait tiré les conséquences de la jurisprudence européenne en reconnaissant qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait pas faire l’objet d’un placement en garde à vue pour ce motif. La neutralisation jurisprudentielle de la garde à vue pour le contrôle des séjours irréguliers a poussé le législateur français à intervenir en 2012 pour créer une nouvelle mesure : la retenue aux fins de vérification du droit de circulation et de séjour[3]. L’article L. 813-13 du CESEDA récapitule les conditions dans lesquelles doivent se dérouler les procédures de contrôle et de vérification. Il a donné lieu à la Question prioritaire de constitutionnalité (ci-après, QPC) qui est à l’origine de la décision commentée.

– Origine de la QPC

M. Mohamed K., de nationalité algérienne, a fait l’objet, le 18 novembre 2023, d’un contrôle « Schengen » sur le fondement du neuvième alinéa de l’article 78-2 du CPP. Par la suite, il s’est vu placer en retenue dans les locaux de la police de l’air et des frontières, puis en rétention administrative par décision du préfet du Nord. Il avait alors contesté cette mesure devant le juge des libertés et de la détention. Sa demande ayant été rejetée, il avait interjeté appel et, à cette occasion, avait soulevé une QPC portant sur l’article L. 813-13 du CESEDA. Le requérant reproche à la disposition litigieuse de ne pas prévoir que la personne retenue soit alimentée par les services de police pendant la procédure, ce qui porte atteinte au principe de dignité humaine.

Dans son arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation juge que la QPC revêt un caractère sérieux. Pour la Cour, il résulterait de l’article 1er du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que le droit de s’alimenter, pour une personne privée de liberté, est un droit fondamental. Le non-respect de ce droit constitue une atteinte à la dignité humaine. Par conséquent, il y avait lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

2. Décision du Conseil constitutionnel

Par une décision du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel juge que l’article L. 813-13 du CESEDA méconnaît le principe constitutionnel de protection de la dignité humaine. Il fonde sa décision sur le Préambule de la Constitution de 1946. Ce dernier dispose que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».

Comme dans sa décision du 6 octobre 2023 relative aux conditions dans les locaux de garde à vue, le Conseil rappelle que « toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine » (point 5). De ce fait, il appartient aux autorités judiciaires et à la police judiciaire de « veiller à ce que la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne » (point 6). Les autorités judiciaires se doivent « de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne retenue et d’ordonner la réparation des préjudices subis » (point 7).

Le Conseil constitutionnel expose aux points 6 et 7 de la décision susmentionnée que les dispositions de l’article L. 813-13 du CESEDA ont pour objet de permettre aux autorités chargées du contrôle de la régularité de la privation de liberté d’apprécier les conditions dans lesquelles s’est déroulée la retenue. Cette mesure peut durer 24 heures. Dès lors, ne pas mentionner les conditions dans lesquelles l’étranger s’est alimenté ne permet pas de s’assurer que la procédure de retenue s’est déroulée dans le respect de la dignité humaine.

Le Conseil constitutionnel déclare la disposition litigieuse contraire à la Constitution. Toutefois, au regard des « conséquences manifestement excessives » d’une abrogation immédiate, il décide de reporter les effets de sa décision au 1er juin 2025 (point 16 de la décision). Il établit alors une mesure transitoire : afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la décision, le Conseil constitutionnel décide que jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire qui dresse le procès-verbal de fin de retenue doit mentionner les conditions dans lesquelles l’étranger retenu a pu s’alimenter (point 18 de la décision).

B. Éclairage

La décision commentée est, à n’en point douter, une décision importante. En effet, en plus de déclarer inconstitutionnelles les dispositions françaises relatives au procès-verbal de retenue en se fondant sur le principe de protection de la dignité humaine, le Conseil constitutionnel clarifie les conséquences matérielles et procédurales à tirer de ce principe dans le champ du droit français des étrangers. Le juge constitutionnel a, néanmoins, temporisé les effets de sa décision et ainsi affaibli sa portée dans l’immédiat.

1. La première inconstitutionnalité d’une disposition législative du droit français des étrangers au nom de la dignité humaine

Le 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel français octroie au principe de sauvegarde de la dignité humaine une valeur constitutionnelle. Il a affirmé que « la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». Sa décision a provoqué une lente recomposition de pans entiers du système français de protection des libertés. Le principe de protection de la dignité humaine a été appliqué à de nombreuses reprises depuis sa consécration, des questions de bioéthiques qui l’ont vu naître au contentieux de la privation de liberté[4]. Cependant, jusqu’en 2020, le juge constitutionnel français n’avait jamais fondé l’annulation d’une disposition législative sur ce principe[5]. C’est l’arrêt J. M. B. rendu la même année par la Cour européenne des droits de l’homme qui provoquera le sursaut du juge constitutionnel français. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour défaut, en droit français, d’une procédure permettant de mettre fin à une détention qui se déroulerait dans des conditions indignes.

En dehors du champ pénitentiaire, le Conseil constitutionnel avait imposé, dès 2010, que la procédure de garde à vue soit « mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ». Il contraint les autorités judiciaires compétentes de prévenir et réprimer les atteintes à la dignité et réparer les préjudices subis. En s’appuyant sur cette jurisprudence, le Conseil formule en 2023 la première réserve d’interprétation à partir du principe de dignité humaine. Toujours en matière de garde à vue, le juge constitutionnel français affirme en 2006 qu’« en cas d’atteinte à la dignité de la personne résultant des conditions de sa garde à vue, les dispositions contestées ne sauraient s’interpréter, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d’ordonner sa remise en liberté ».

En revanche, le Conseil constitutionnel n’avait jamais, jusqu’à présent, appliqué le principe dans le champ du droit des étrangers. Il avait refusé en 2006 de reconnaître que la précarité engendrée par la suppression de la délivrance automatique d’un titre de séjour à un étranger ayant résidé irrégulièrement en France depuis plus de dix ans était de nature à porter atteinte au principe de dignité humaine. En 2007, il écarte le grief selon lequel la subordination du regroupement familial à l’examen du lien biologique avec la mère du demandeur de visa constituait une atteinte au principe de dignité humaine. Position qu’il réitérera en 2019, dans l’affaire Adama S., à propos des examens radiologiques osseux utilisés pour déterminer l’âge des personnes. Enfin, lors du contrôle en 2024 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, le Conseil constitutionnel avait privilégié une lecture des dispositions en cause en termes d’atteinte à la liberté individuelle, plutôt que de la dignité humaine.

Il s’agit donc de la première application positive du principe de dignité humaine dans le domaine de la police des étrangers. Le juge constitutionnel français avait maintenu un flou depuis 1994 sur l’étendue et le sens à donner au principe. Il se retranche habituellement derrière les limites de son office, que ce soit parce qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation identique à celui du Parlement » ou qu’il doive se borner « au contrôle des dispositions législatives qui, par elles-mêmes ou leurs conséquences nécessaires, portent atteinte à cette exigence ou la privent de garanties essentielles ».

L’analyse du principe de dignité nous livre plusieurs précisions. La dignité humaine est traditionnellement mobilisée dans la jurisprudence constitutionnelle pour renvoyer à la valeur sacrée et inviolable du corps humain (c’est le cas en matière de bioéthique) ou pour recouvrir le respect de la liberté de choix des individus (tel est le cas en matière d’IVG ou de fin de vie). La décision Mohammed K. illustre un autre sens, solidement ancré dans la jurisprudence constitutionnelle française, mais qui doit être distingué des deux précédents : la protection de tout être humain contre les traitements inhumains et dégradants. Dans ce dernier sens, c’est le caractère profondément humiliant du traitement administré à un être humain qui justifie de caractériser une atteinte à la dignité humaine. Ce type de traitement ne respecte pas l’inviolabilité statutaire accordée aux personnes et qui interdit de traiter certaines d’entre elles comme des « citoyens de seconde zone ». C’est à partir de cette conception qu’il déduit des obligations positives opposables à l’État français afin de protéger les étrangers retenus.

2. L’obligation de protection de la dignité humaine lors du contrôle des mesures privatives de liberté

Depuis 1994, le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions concernant la violation du principe de sauvegarde de la dignité humaine dans des affaires impliquant des mesures de privation de liberté. Il a ainsi établi progressivement une double exigence constitutionnelle, contraignante tant pour le législateur que pour les autorités judiciaires compétentes. Sur la base du principe sus-évoqué et du préambule de 1946, le juge constitutionnel formule des obligations positives qui visent à « créer le cadre nécessaire à l’exercice du droit fondamental invoqué »[6]. En 2010, dans l’affaire Daniel W., il décide, en matière de garde à vue, qu’il « appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ; qu’il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le Code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis ». Le juge constitutionnel français réitérera ces exigences la même année pour l’hospitalisation sans consentement dans l’affaire Mlle Danielle S. En revanche, la reconnaissance d’une telle obligation positive ne s’est pas accompagnée d’une concrétisation du contrôle du Conseil constitutionnel, celui-ci refusant toujours d’apprécier la mise en œuvre de la disposition législative en cause. Sans réviser cette posture, la décision constitutionnelle commentée étend ces obligations positives à la procédure de retenue des étrangers, unifiant le régime des mesures privatives de libertés autour de la notion de dignité humaine.

Toutefois, le choix de placer l’autorité judiciaire en première ligne peut être questionné. Faute de moyens, on peut douter que l’autorité judiciaire ait, dans les faits, la possibilité de se déplacer dans les locaux pour jouer le rôle qu’entend lui donner le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, prouver l’indignité des conditions de retenue peut être une véritable gageure, comme l’a montré le contentieux carcéral[7]. Enfin, comme pour la surpopulation carcérale, ce type de mécanisme apparaît comme un pis-aller d’une politique ambitieuse de désinflation répressive en matière de droit des étrangers.

3. Droit à l’alimentation et privation de liberté

L’article L. 813-13 CESEDA oblige l’officier de police judiciaire (ou un agent sous son contrôle) impliqué dans une procédure de retenue, de rédiger un procès-verbal qui « précise le jour et l’heure du début et de la fin de la retenue et la durée de celle-ci et, le cas échéant, la prise d’empreintes digitales ou de photographies ainsi que l’inspection visuelle ou la fouille des bagages et effets personnels et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Il y annexe le certificat médical établi à l’issue de l’examen éventuellement pratiqué ». L’absence d’une de ces mentions entraîne la nullité de la procédure (article L. 813-16 CESEDA).

Faute de prévoir la mention des conditions dans lesquelles l’étranger retenu a pu s’alimenter, alors que cette mesure peut atteindre une durée de 24 heures, le Conseil constitutionnel conclut que « les dispositions contestées ne permettent pas aux autorités judiciaires de s’assurer que la privation de liberté de l’étranger retenu s’est déroulée dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne humaine » (point 13). Elles méconnaissent ainsi le principe constitutionnel de protection de la dignité humaine. Dans le commentaire officiel de la décision, les services du Conseil expliquent que, contrairement à d’autres problèmes susceptibles de mettre en cause la dignité (surpopulation, état des locaux, etc.), « l’alimentation des personnes retenues se pose de façon systématique »[8] dans le cadre d’une mesure d’une durée de 24 heures.

Ce faisant, le juge constitutionnel rapproche le set de droits de la personne retenue de celui de la personne gardée à vue (article 64 du Code de procédure pénale) et met un terme à une incertitude qui avait donné lieu à une jurisprudence divergente devant les juridictions du fond[9]. La dignité humaine semble ainsi devenir le point de fuite des mesures restrictives de liberté : par leur nature, ces mesures placent les individus dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de l’administration pour répondre à leurs besoins essentiels. C’est alors à cette dernière qu’incombe le devoir de garantir la préservation de la vie et de la dignité des personnes privées de libertés. En liant dignité humaine et accès à l’alimentation, le Conseil constitutionnel identifie un droit essentiel[10] dont la privation est constitutive d’un traitement inhumain et dégradant qui exige la censure[11]. Cependant, contrairement à la décision du 6 octobre 2023, qui avait donné lieu à une simple réserve d’interprétation, le Conseil juge que l’atteinte portée à la dignité humaine justifie de censurer la disposition. Toutefois, la radicalité de la déclaration d’inconstitutionnalité est aussitôt atténuée.

4. Les tempéraments apportés aux effets de la décision d’abrogation

Le Conseil constitutionnel considère dans un dernier temps de son raisonnement que l’abrogation immédiate de la disposition inconstitutionnelle entraînerait des « conséquences manifestement excessives ». Afin d’atténuer ces conséquences, il décide de reporter au 1er juin 2025 la date de l’abrogation des dispositions visées dans la décision commentée. C’est sur le fondement de l’article 62 de la Constitution française que le Conseil constitutionnel a fixé la date de l’entrée en vigueur de la mesure portant abrogation des dispositions susmentionnées. C’est par une interprétation constructive de cet article que le Conseil peut reporter la date à partir de laquelle une déclaration d’inconstitutionnalité commence à produire des effets. Il peut également s’opposer ou limiter l’engagement de la responsabilité de l’État français pour inconstitutionnalité de certaines dispositions relevant de son arsenal juridique.

La recherche de l’effet utile de la décision d’annulation plaide pourtant pour une application immédiate de celle-ci[12]. Le juge constitutionnel a pris en compte cette exigence en ne modulant pas les effets de son annulation dans la décision rendue le même jour en matière d’accès à l’aide juridictionnelle des étrangers (affaire Diabe S.). Ici, le Conseil précise les raisons d’une telle modulation : l’abrogation immédiate « aurait pour effet de supprimer l’obligation de faire figurer certaines mentions sur le procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour » (point 16). Autrement dit, le juge constitutionnel souhaite éviter d’amoindrir la garantie des droits accordée aux étrangers retenus. Pour la même raison, il assortit son raisonnement d’une réserve transitoire sous la forme d’une directive à l’adresse de l’administration policière : tout procès-verbal doit porter une telle mention jusqu’à ce que la loi soit adoptée. Le self-restraint du Conseil constitutionnel aboutit donc à un résultat paradoxal : afin de ne pas se substituer aux pouvoirs constitués, le Conseil sauve (temporairement) une disposition inconstitutionnelle, mais il est alors contraint d’adresser une directive à l’administration policière pour ne pas priver d’effet utile sa décision.

Conclusion

L’entrée de la dignité humaine dans le champ du droit de la retenue des étrangers n’est pas négligeable, surtout en cette période de durcissement des lois sur les étrangers en France. Elle marque l’existence d’un réel recul contre les maltraitances systémiques subies par les étrangers retenus. Toutefois, la capacité de l’autorité judiciaire à garantir le respect de cette exigence soulève des questions, car elle est dépassée par quatre décennies d’inflation répressive du droit des étrangers.

C. Pour aller plus loin

Lire la décision : Conseil constitutionnel français, 28 mai 2024, M. Mohamed K., décision no 2024-1090 QPC.

Jurisprudence :

Doctrine :  

  • Afroukh, M. et Marguenaud, J.-P., « Le redéploiement de la dignité », R.D.L.F., 2021, chronique 19 ;
  • GISTI, Contrôle des étrangers. Ce que change la loi du 31 décembre 2012, Les cahiers juridiques, 2013 ;
  • Parrot, K., Carte Blanche. L’État contre les étrangers, La Fabrique, 2019 ;
  • Ponseille, A., « L’indignité des conditions matérielles de garde à vue saisie par le Conseil constitutionnel à propos de la décision no 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023 », Questions constitutionnelles, 9 novembre 2023.

 

Pour citer cette note : H. Avvenire, « Le droit de s’alimenter de l’étranger retenu : une première application positive du principe constitutionnel de protection de la dignité humaine », Cahiers de l’EDEM, septembre 2024.

 

[1] Il s’agit de l’article L. 813-13 du CESEDA dans sa version issue de l’ordonnance no 2020-1733 du 16 décembre 2020.

[2] Ancien article L. 621-1 du CESEDA.

[3] Loi no 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

[4] Décision constitutionnelle no 2009-593 DC, 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, considérant 3.

[5] Dans la décision constitutionnelle no 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel français annule le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale tel qu’interprété par la Cour de cassation, car il exclut la possibilité d’une remise en liberté d’un prévenu détenu en raison des conditions indignes de sa détention.

[6] D. Capitant, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, LGDJ, 2001, p. 207.

[7] A. Jennequin, « Prouver l’indignité des conditions de détention dans le contentieux de la responsabilité : une gageure ? », R.D.L.F., 2022, chronique no 24.

[8] Commentaire de la décision no 2024-1090 QPC du 28 mai 2024, M. Mohamed K., p. 18 (accessible sur le site du Conseil constitutionnel français).

[9] Pour un jugement en faveur de la reconnaissance du droit de s’alimenter de la personne retenue : Cour administrative d’appel de Paris, 4 mars 2024, no 24/00999. D’autres jugements se sont déclarés clairement défavorables à une telle reconnaissance en dehors de tout texte : voy. par exemple Cour administrative d’appel de Paris, 4 février 2013, no B13/00384.

[10] M. Charité, « L’émergence des “droits essentiels” », A.J.D.A., 2024, p. 1364.

[11] La solution est d’autant plus remarquable que dans la décision du 6 octobre 2023, le raisonnement du juge constitutionnel, à bien des égards similaire, avait donné lieu à une simple réserve d’interprétation.

[12] L. Daydie, « La détermination des effets des décisions QPC : illustration d’un usage perfectible de la Constitution », R.F.D.C., 2018, pp. 33-52.