Récit de vie – Admiration et courage
cedie | Louvain-la-Neuve
J’avais commencé par le beau côté de l’immigration, par l’expatriation. Mon mari a longtemps travaillé pour des multinationales dans le domaine brassicole. Avec nos enfants, nous avons séjourné en Angola, au Gabon à Libreville, au Nigéria où nous sommes restés 7 ans. Ensuite, nous sommes allés en Guinée, au Cameroun, au Gabon à Port-Gentil et en RDC.
Ces départs se réalisaient au gré des affectations de mon mari, avec fluidité. Nous retrouvions aisément des repères dans les pays que nous rejoignions. Nous avons toujours gardé des conditions identiques de salaire, de logement. Nous avons pu séjourner dans des lieux où la nature devenait magique. Je n’ai jamais considéré cette expérience comme une migration, je n’ai jamais dû fuir pour assurer la survie des miens.
Nous avons vécu en ville, mais à l’écart dans les zonings industriels qui étaient à l’époque au milieu des champs. Même en pleine ville la nature est omniprésente, elle occupe les espaces vides ou sépare les pleins. Je garde l’image des Flamboyants omniprésents et surtout pour le dicton qui accompagne sa floraison en Guinée, Quand le Flamboyant fleurit, le Blanc dépérit. Il est vrai que son apparition, en saisons humides, signifie également la venue de la malaria et des autres joyeusetés.
Mon salaire n’était pas une nécessité pour l’équilibre du budget familial, je cherchais un emploi pour m’occuper. J’ai eu beaucoup de chance. Le plus souvent, j’ai travaillé dans des écoles car cela me permettait de passer du temps avec les enfants, d’être avec eux quand ils étaient à la maison. Je les déposais à l’école, y restais pour travailler et rentrais avec eux.
Quand nous sommes revenus en Belgique en 2008, les enfants étaient grands, j’ai recherché à m’occuper. Je suis allé voir au Resto du Cœur. Je pensais que j’allais facilement pouvoir aider mais les équipes étaient déjà constituées. Je cherchais à me rendre utile. J’ai suivi une formation afin de mettre mes compétences à niveau. Après avoir un peu travaillé dans le privé, j’ai trouvé un emploi à l’UCLouvain. Mon critère a toujours été que mon activité professionnelle soit utile et agréable. Quand j’ai postulé à l’UCLouvain, on m’a expliqué les activités du CeDIE. C’était bizarre pour moi d’imaginer de la recherche en droit, je l’imaginais uniquement dans le secteur médical ou scientifique.
Dans le département, j’ai compris que le droit ne se limite pas à l’activité judiciaire ou commerciale. J’ai découvert des mondes inconnus. À travers l’EDEM, j’ai découvert la réalité de la migration.
Dans les infos, on met en évidence le point de vue misérabiliste du parcours des personnes qui arrivent chez nous. Est-ce pour nous permettre de prendre conscience de leurs difficultés ? Peu à peu en travaillant pour l’EDEM, j’ai pris conscience de la force et du courage des migrants, notamment grâce aux échanges avec les jeunes chercheurs à propos de leurs travaux.
J’ai beaucoup d’admiration (et de compassion) pour ces gens qui quittent toute leur vie. Bien sûr, ils n’ont souvent pas d’autres choix, mais cela ne peut empêcher de constater combien ils ont été valeureux. Je ne sais si, dans les mêmes conditions, j’aurais eu le courage de migrer.
Je ne manque pas d’exprimer cette admiration, je suis heureuse que l’EDEM m’ait permis ce constat et de faire ce voyage. Sans aucun doute plus bousculant que ceux que j’avais réalisés auparavant.
Pour citer cette note : « Admiration et courage », Récit de vie recueilli par Béatrice Chapaux dans le cadre d’un projet Migrations et récits de vie financé par le Fonds de développement culturel d’UCLouvain Culture, mai 2023.