C.C.E., 25 juin 2024, n° 308 758
cedie | Louvain-la-Neuve
MENA – Demande d’asile – Mutilations génitales féminines (MGF) – CIDE, art. 3 – Directive qualification, art. 20 (5) – Analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant comme partie intégrante de l’examen d’une demande d’asile – Vulnérabilité – Informations sur le pays d’origine – Appartenance au groupe social des femmes.
Le Conseil du contentieux des étrangers accorde le statut de réfugié à une adolescente somalienne mineure non accompagnée. Après avoir rappelé l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’analyse du besoin de protection internationale et examiné la situation générale en Somalie relative au risque de mutilations génitales féminines (MGF), le Conseil conclut que la requérante peut légitimement craindre de subir une nouvelle infibulation en cas de retour, en raison de son appartenance au groupe social des femmes. Le Conseil prend en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, intégrant les expériences vécues, pour aboutir à sa conclusion sur le besoin de protection internationale.
Sarah Veys et Christine Flamand
A. Arrêt
L’arrêt commenté concerne une ressortissante somalienne, née en avril 2007. En janvier 2023, elle introduit une demande de protection internationale en Belgique en tant que mineure étrangère non accompagnée (ci-après, MENA).
1. Les faits
La requérante est une ressortissante somalienne, née en avril 2007. Elle arrive en Belgique le 2 janvier 2023. Un jour plus tard, elle introduit une demande de protection internationale auprès des instances d’asile belges. Elle indique qu’elle a une appartenance clanique mixte en Somalie. Son père est membre de l’Abgal, un clan majoritaire, tandis que sa mère est descendante du clan minoritaire de Madhibaan en Somalie.
Après le décès de son père, il y a plus de dix ans, la requérante déménage avec sa mère, ses frères et sœurs pour aller vivre au village avec son oncle paternel. Elle affirme qu’en raison de son appartenance à deux clans différents, elle a subi la discrimination dans ce village. Cela l’a poussée à quitter l’école à l’âge de 14 ans.
Au lieu de lui apporter son soutien, son oncle est violent envers elle. Il planifie, en novembre 2022, le mariage de la requérante avec un homme âgé, soupçonné d’être un membre du groupe rebelle Al Shabaab. La requérante et sa mère tentent de s’opposer à ce mariage. L’oncle paternel essaye de contraindre la requérante à accepter ce mariage. Il l’enferme dans une pièce, lui rase la tête et la poignarde. La mère de la requérante est aussi blessée par la même occasion. Les deux femmes se rendent à l’hôpital en raison des blessures infligées. Face à cette situation, la requérante finit par accepter le mariage.
Sortie de l’hôpital, la mère demande de l’aide à la sœur de sa voisine en vue de faciliter la fuite de la requérante. Cette dernière finit par se rendre à Mogadiscio, capitale de la Somalie, au début de l’année 2023. De là, elle prend un vol vers la Belgique. Devant les autorités belges chargées de demandes de protection internationale, la requérante présente deux certificats médicaux. Le premier atteste les cicatrices des plaies causées par les violences physiques qu’elle a reçues de son oncle paternel. Le second contient des informations concernant la mutilation génitale féminine du type 3 qu’elle a subie. Elle apporte, à la même occasion, une preuve d’adhésion au Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines (GAMS).
Après examen de ces éléments de preuve, le C.G.R.A. estime que la requérante ne peut être reconnue comme réfugiée au sens de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980. Elle n’est pas non plus éligible à la protection subsidiaire au sens de l’article 48/4 de cette même loi. Pour le C.G.R.A., la situation familiale et personnelle de la requérante n’est pas jugée crédible. Il indique que, puisque la requérante a déjà subi la forme la plus sévère de mutilation, une nouvelle excision est de facto impossible. Dès lors, sa crainte d’être soumise à une nouvelle MGF en cas de retour en Somalie est purement hypothétique.
Les craintes de la requérante concernent donc la persistance des séquelles psychologiques et physiques liées à la MGF qu’elle a subie, plutôt que la crainte de nouvelles persécutions.
Le C.G.R.A. refuse d’octroyer la protection subsidiaire à la requérante. Il indique que les éléments tels que la situation familiale ainsi que la minorité de la requérante ne sont pas considérés comme des facteurs individuels augmentant le risque de violence aveugle en Somalie.
La requérante introduit un recours contre cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, C.C.E.). Elle invoque à l’appui de son recours qu’il n’est pas conforme à son intérêt supérieur en tant que MENA de retourner en Somalie. Un retour en Somalie l’expose au risque de subir une nouvelle infibulation.
2. Le raisonnement et la décision du C.C.E.
Le C.C.E. considère que les craintes de persécution de la requérante en cas de retour en Somalie sont fondées au sens de l’article 1er de la Convention de Genève de 1951. Il accorde à la requérante le statut de réfugié.
Le C.C.E. souligne que la requérante est une mineure et insiste sur le principe fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon le Conseil, ce principe doit être pris en compte par les instances d’asile belges dans l’examen de la demande de protection internationale. Il doit être évalué au cas par cas, en prenant en compte divers éléments, tels que l’âge du mineur ou de la mineure, sa caste ou encore sa sécurité physique (pt 4.1.2). Le C.C.E. rappelle également qu’en vertu de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980, l’infibulation est une forme grave et irréversible d’atteinte à l’intégrité physique des femmes.
Le C.C.E. relève ensuite que selon l’article 48/7 de cette même loi, le fait que la requérante ait déjà subi une infibulation doit être considéré comme un indice sérieux du bien-fondé de ses craintes de persécutions « à moins qu’il n’y ait de bonnes raisons de croire qu’une telle persécution ne se reproduira pas » (pt 4.1.6). Il estime que les informations disponibles sur la Somalie démontrent non seulement que les MGF y sont encore pratiquées de manière universelle, mais aussi que les femmes ne peuvent bénéficier de la protection du gouvernement somalien, des chefs religieux, des clans ou des O.N.G.
Le C.C.E. relève également que des démarches avaient été initiées par l’ancienne tutrice de la requérante en vue de subir une opération de désinfibulation. Toutefois, cette opération n’a pu avoir lieu en raison du décès inopiné de sa tutrice. La nouvelle tutrice de la requérante confirme l’intention de poursuivre ces démarches. Le C.C.E. tient compte de ces circonstances spécifiques et estime que cette future opération expose la requérante au risque de réinfibulation en cas de retour dans son pays (pt 4.1.8).
Ainsi, en l’absence d’informations contradictoires sur la situation en Somalie, il n’y a aucune raison de croire que la requérante ne risquerait pas de subir un nouvel acte de persécution, soit une réinfibulation. Contrairement au C.G.R.A., qui avait ignoré ces informations et qualifié les craintes de la requérante de « purement hypothétiques », le C.C.E. conclut que les craintes de persécution sont bien fondées en raison de son appartenance au groupe social des femmes et en raison de sa religion.
B. Éclairage
Cet arrêt est innovant et significatif sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de l’évaluation du besoin de protection internationale d’une MENA (1). Il rappelle l’importance de l’information sur le pays d’origine dans l’évaluation de la crainte de persécution en cas de retour (2) et intègre la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’U.E. sur l’appartenance d’adolescentes au groupe social des femmes (3).
1. L’intérêt supérieur de l’enfant
L’arrêt commenté confirme que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant fait partie intégrante de l’examen de la demande d’asile. La juridiction examine en détail la situation individuelle de la MENA avec prudence et précaution afin d’évaluer la crainte de réinfibulation dans son cas précis. En effet, la juge rappelle que la prise en compte de cet intérêt fait partie de l’examen minutieux de la demande d’asile et réfère à l’article 20 (5) de la directive qualification. La juridiction rend effective la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et estime que dans son cas, en raison de la prévalence de la pratique en Somalie, elle encourt un risque en cas de retour dans son pays d’origine, même si la pratique a déjà eu lieu. Elle examine par ailleurs le risque de réinfibulation et estime que vu l’âge de l’adolescente, il est probable que cette réinfibulation puisse se produire, s’agissant d’une jeune femme qui, dans un proche avenir et selon les traditions, se mariera et aura des enfants. Elle procède également à un examen précis des circonstances entourant une possible opération de reconstruction en Belgique, envisagée puis postposée en raison du décès inopiné de sa tutrice, et dont le décès a fortement perturbé la MENA. L’ensemble de ces éléments sont pris en compte par la juge pour évaluer l’intérêt de l’enfant en l’espèce. Partant, la juridiction prend en compte l’intersectionnalité des différentes expériences vécues par cette jeune fille pour être au plus près de son vécu : les MGF subies dans le pays d’origine, les menaces et insultes avant son départ du pays d’origine mais aussi les difficultés éprouvées à son arrivée en Belgique comme MENA (attachement à sa tutrice qui décède inopinément).
Le C.C.E. ne se prononce donc pas directement sur la vulnérabilité de la requérante mais en se référant à l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, il intègre cette notion. Au vu de l’ensemble de ses expériences passées, il aboutit à une conclusion sur le besoin de protection internationale de la jeune fille.
En incluant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’examen de la demande d’asile, le C.C.E. procède conformément à la jurisprudence de la C.J.U.E. Dans l’affaire K, L c. Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid du 11 juin dernier, la Cour de justice considère que l’instance compétente doit, lorsqu’elle évalue le bien-fondé de sa demande de protection internationale, prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en application de l’article 24, § 2, de la Charte des droits fondamentaux, au terme d’un examen individualisé (pt 73). Elle ajoute que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit non seulement être pris en compte dans l’appréciation sur le fond des demandes concernant des enfants, mais également influer sur le processus décisionnel conduisant à cette appréciation, moyennant des garanties procédurales particulières ». La Cour rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant fait référence à la fois à un droit de fond, à un principe interprétatif et à une règle de procédure conformément à l’Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant (pt 73). La Cour valide donc l’effectivité de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de la demande d’asile : si cette évaluation est omise, la demande d’asile ne sera pas dûment examinée. Le C.C.E. procède de la sorte dans l’arrêt commenté en focalisant son attention sur l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ceci est en opposition avec la décision du C.G.R.A., qui ne prend pas en compte cet aspect et en se bornant à indiquer que la pratique ne risque pas de se reproduire.
Cet arrêt est donc significatif à l’égard de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Une étude réalisée en 2019 avait démontré que le poids juridique attaché au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’examen des demandes d’asile était très variable.
2. L’importance des informations sur le pays d’origine dans l’évaluation des risques de persécution
Dans cet arrêt, une différence notable apparaît dans l’analyse du risque de persécution en cas de retour, entre l’approche adoptée par le C.G.R.A. et celle retenue par le C.C.E., concernant l’utilisation des informations relatives au pays d’origine.
Le C.G.R.A., pour évaluer le risque que court la requérante de subir une nouvelle MGF en cas de retour en Somalie, se borne à considérer qu’elle ne peut, de facto, être à nouveau victime d’une MGF, dans la mesure où elle a déjà subi la forme la plus sévère de cette pratique, à savoir l’infibulation. Il en conclut l’absence de crainte de subir de nouvelles persécutions en cas de retour. À l’appui de cette décision, aucune référence n’est faite à des rapports sur la situation des MGF en Somalie. Contrairement à son analyse concernant le risque de violence aveugle dans le cadre de la protection subsidiaire, le C.G.R.A. n’utilise pas les informations disponibles relatives aux MGF dans son raisonnement.
Le C.C.E., quant à lui, adopte une approche plus nuancée pour évaluer ce même risque. Il s’attache à examiner l’état actuel de la prévalence des MGF en Somalie afin d’apprécier le risque de nouvelle persécution de la requérante. Diverses sources récentes sont mobilisées par le C.C.E. à cet effet (EUAA Country Guidance Somalia, DIS, COI Query Somalia, des rapports de l’UNFPA et de l’UNICEF). Ces rapports indiquent que les MGF sont pratiquées de manière quasi universelle en Somalie, sans distinction d’appartenance clanique ou de contexte socio-économique des femmes. Ensuite, ils informent que l’infibulation est la forme de MGF la plus fréquente, représentant 64,2 % des cas. Les sources témoignent aussi que le fait qu’une femme ait subi une première infibulation n’empêche pas qu’elle puisse en subir d’autres ultérieurement. En effet, la désinfibulation suivie de réinfibulation est une pratique largement répandue, notamment après la naissance d’un enfant.
Sur cette base, le C.C.E. examine la situation individuelle de la requérante et considère que, du fait qu’elle soit mineure et en âge d’être mariée et d’avoir des enfants dans un futur proche, elle court un risque de subir de nouvelles infibulations. Le C.C.E. estime dès lors que « le fait que la requérante ait déjà été soumise à la forme la plus sévère de mutilation, de sorte qu’elle ne puisse pas être excisée à nouveau, ignore complètement les informations sur le pays examinées ci-dessus, qui montrent que la ré-infibulation est courante » (pt 4.1.9, traduction libre).
En conclusion, cet arrêt illustre combien l’utilisation des informations relatives au pays d’origine est déterminante dans l’évaluation des risques encourus par les demandeurs de protection internationale en cas de retour. Le C.G.R.A., en négligeant les données relatives à la prévalence des MGF en Somalie, estime les risques encourus par la requérante comme négligeables, ce qui conduit au rejet de sa demande de statut de réfugié et de protection subsidiaire. En revanche, le C.C.E., en s’appuyant sur des sources actualisées, accorde une plus grande importance aux risques de persécutions futures, aboutissant à une décision plus protectrice pour la requérante.
L’importance des informations relatives aux pays d’origine dans l’évaluation factuelle des besoins de protection internationale est soulignée dans le Practical Guide on the Use of Country of Origin Information by Case Officers for the Examination of Asylum Applications de l’European Asylum Support Office (EASO) (p. 9). L’EUAA considère que ces informations peuvent être mobilisées à différents stades de la procédure d’asile (pt 25). Elles revêtent une utilité particulière dans l’appréciation de la probabilité de persécution future du demandeur et doivent être examinées à la lumière des circonstances personnelles propres à chaque affaire (pt 41). L’arrêt du C.C.E. n° 264 721 du 30 novembre 2021 illustre notamment l’impact des informations récentes sur les pays d’origine.
La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire J.K. et autres c. Suède, affirme également l’importance de ces informations. Elle considère que « les autorités nationales chargées de l’examen d’une demande de protection internationale disposent d’un accès complet à l’information. En conséquence, la situation générale dans un pays tiers, y compris la capacité de ses autorités publiques à assurer une protection, doit être établie d’office par les autorités compétentes en matière d’immigration » (pt 98). Cela met en lumière l’obligation des autorités nationales de procéder à une évaluation approfondie et objective de la situation dans le pays d’origine, fondée sur des informations fiables et actualisées.
Enfin, l’arrêt de la Cour de justice du 4 octobre 2024 concernant deux femmes afghanes, AH, FN renforce l’importance de prendre en compte les informations sur le pays d’origine lors de l’évaluation de la crainte de persécution. La Cour y évoque une présomption de reconnaissance du statut de réfugié à l’égard des femmes et des jeunes filles afghanes en raison de leur genre, au regard des informations disponibles sur le pays d’origine. En effet, la Cour s’appuie sur le rapport de l’EUAA Country guidance : Afghanistan, lequel documente la situation des femmes sous le régime taliban et les discriminations systématiques qu’elles y subissent (pt 56). Sur cette base, la Cour déclare que l’autorité compétente ne doit pas tenir compte d’éléments propres à sa situation personnelle autres que ceux relatifs à son sexe ou à sa nationalité (pt 59). Cela permet également d’alléger la charge de la preuve pour les requérantes invoquant des violences de genre.
3. Appartenance au groupe social des femmes
L’arrêt reconnaît la qualité de réfugié à la MENA sur la base de l’appartenance au groupe social des femmes.
L’interprétation de la notion d’appartenance au groupe social comme motif de persécution au sens de la directive qualification s’est trouvée au cœur de trois arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’arrêt du 11 juin 2024 précité, s’agissant de deux adolescentes originaires de l’Iraq mais ayant vécu leur adolescence aux Pays-Bas, la Cour, au terme de son raisonnement, estime que ces adolescentes « occidentalisées » font partie d’un groupe social, celui des femmes, y compris mineures, qui partagent comme caractéristique commune leur identification effective à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes (pt 87). Et confirme que la crainte de persécution en raison des inégalités de genre fait partie intégrante de la définition de « réfugié ». L’autre arrêt significatif date de janvier 2024. Dans cet arrêt W.S., la Cour rappelle que les femmes peuvent être considérées comme appartenant à un certain groupe social au sens de l’article 10 de la directive 2011/95 lorsqu’elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales. Ces violences incluent les violences sexuelles et domestiques. Enfin, l’arrêt récent du 4 octobre, AH, FN concernant deux femmes afghanes, confirme que la notion d’« acte de persécution » comprend une accumulation de mesures discriminatoires à l’égard des femmes, adoptées ou tolérées par un « acteur de persécution » consistant notamment à les priver de toute protection juridique contre les violences fondées sur le genre, les violences domestiques et le mariage forcé (pt 59).
Si la Cour n’inclut pas nommément les MGF (vu les contextes spécifiques abordés), celles-ci sont également des actes de persécution. Pour rappel, les MGF constituent une forme de violence sexuelle et de violence liée aux inégalités entre femmes et hommes. Comme le souligne le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), « les MGF sont infligées aux femmes et aux filles, en raison de leur genre, pour les assujettir et contrôler leur sexualité. Cette pratique entre souvent dans le cadre plus général des discriminations envers les femmes, tolérées, ou encouragées par la politique de l’État » (pt 22). Selon cette même note, toutes les formes de MGF violent les droits des filles et des femmes, y compris le droit à la non-discrimination, le droit à la protection contre les violences physiques et mentales, le droit au meilleur niveau de santé possible, et, dans les cas les plus extrêmes, le droit à la vie (pt 7).
Les trois arrêts de la Cour de justice de 2024 et leur raisonnement sur l’interprétation du groupe social s’appliquent donc pour conclure que les MGF sont des violences de genre en lien avec le groupe social des femmes. Si l’arrêt commenté ne se réfère pas à la jurisprudence de la Cour de justice, la juridiction l’applique in concreto, en particulier s’agissant de MENA.
Conclusion
Cet arrêt confirme que les demandes d’asile des MENA doivent être examinées avec prudence et précaution. Cet examen prend en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en intégrant les aspects liés à la vulnérabilité et aux expériences individuelles pour conclure au besoin ou non de protection internationale. Cette inclusivité est l’aspect innovant de l’arrêt.
Toutefois, il semble de manière générale que la juridiction reste hésitante à accorder le statut de réfugié aux femmes adultes ayant subi l’excision dans le passé, à moins d’une crainte exacerbée, même si le continuum de violences dans le futur ne fait pas de doute.
C. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt : C.C.E., 25 juin 2024, n° 308 758.
Jurisprudence :
- C.J.U.E., 4 octobre 2024, AH, FN c. Verwaltungsgerichtshof, C‑608/22 et C‑609/22 ;
- C.J.U.E., 11 juin 2024, K, L c. Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C 646/21 ;
- C.J.U.E., 16 janvier 2024, WS c. Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia za bezhantsite pri Ministerskia savet, C‑621/21 ;
- Cour eur. D.H., 23 août 2016, J.K. et autres c. Suède, req. n° 59166/12 ;
- C.C.E., 7 mai 2024, n° 306 212 ;
- C.C.E., 30 novembre 2021, n° 264 721 ;
- C.C.E., 1 mars 2017, n° 183 264.
Doctrine:
- Desmet, E., « Appellate asylum and migration proceedings in Belgium: challenges for the best interests of the child principle and unity of jurisprudence », in P. Rodrigues, M. Klaassen, S. Rap et T. Liefaard (eds), Safeguarding children’s rights in immigration law, Intersentia, 2019.
- Muhambiya, I.B., « Reconnaissance du statut de réfugié des apatrides palestiniens : l’impact des informations sur la situation prévalant dans la région d’origine des requérants », Cahiers de l’EDEM, mars 2022.
Autres :
- EASO, Practical guide on the use of country of origin information by case officers for the examination of asylum applications, Luxembourg : Publications Office of the European Union, 2020.
- UNHCR, Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, mai 2009.
Pour citer cette note : S. Veys et C. Flamand, « L’effectivité du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’évaluation du besoin de protection internationale », Cahiers de l’EDEM, septembre 2024.