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Christophe Point : un regard philosophique sur les enjeux éducatifs actuels

isp | Louvain-la-Neuve

isp
17 October 2024, modified on 10 January 2025

Engagé à l'UCLouvain début septembre, Christophe Point a rejoint la Faculté des sciences de l'éducation et l'Institut supérieur de philosophie. Sa mission ? Enrichir la formation des futur·es enseignant·es avec une approche à la fois philosophique et concrète. Rencontre.

Vous avez rejoint la cohorte des nouveaux académiques engagés à l’UCLouvain cette année, pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Mon parcours commence en philosophie, avec un intérêt pour la philosophie politique. Très vite, je me suis rendu compte que les grandes questions sur le gouvernement et la société en général renvoyaient toujours à une même conclusion: pour bien gouverner, il faut avant tout bien éduquer les citoyennes et les citoyens. Cette découverte m'a amené à m'intéresser à la philosophie de l'éducation. 
C'est ainsi qu'après mes études en France, j’ai passé le concours pour devenir professeur de philosophie dans le secondaire. J'ai donc été enseignant pendant plusieurs années avec beaucoup de plaisir, mais cette question de la finalité politique de l’éducation me préoccupait et revenait sans cesse à mon esprit. J’ai donc repris des études avec un doctorat en philosophie de l’éducation, en co-tutelle entre l’Université de Lorraine en France et l’Université Laval au Québec.
C’est durant cette période que je me suis particulièrement intéressé à John Dewey, un philosophe et pédagogue américain qui a marqué ma réflexion sur le rôle des universités dans la démocratie.
Après mon doctorat, j'ai enseigné en France à l’université de Lyon, puis au Québec, à l'université de Sherbrooke. C’est là que j'ai donné pour la première fois un cours sur l'éthique professionnelle des enseignant·es. J’ai découvert alors que l’éthique professionnelle est une question cruciale dans le contexte actuel, d'où l'importance de proposer ce type de cours aux futur·es enseignant·es. C’est aussi ce qui a conduit en partie l’UCLouvain à me recruter.

Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre la faculté EDUC qui vient d’être créée ?

La création de cette nouvelle Faculté des sciences de l’éducation est un projet passionnant, surtout dans un contexte de changement. En Belgique, la formation des enseignant·es, traditionnellement assurée par les hautes écoles (en trois ans), est désormais partagée avec les universités et s’étend aujourd’hui sur quatre ans. Ce nouveau cadre permet d’introduire des cours plus spécialisés, comme celui sur l’éthique de l'éducation, un domaine qui me passionne et dans lequel j’ai commencé à travailler dans mes recherches. C'est une vraie opportunité pour moi de pouvoir apporter mes connaissances à de futur·es enseignant·es, dans un environnement en plein développement. La création de cette nouvelle structure est un projet collectif et pédagogique innovant et le fait de pouvoir participer activement à la formation des futur·es enseignant·es, dans un cadre universitaire, est pour moi très stimulant.

En quoi votre rôle au sein de cette faculté diffère-t-il de celui des autres académiques de l’UCLouvain ?

Ce qui est particulier, c'est que mon travail se situe à l’intersection de deux disciplines : la philosophie et l’éducation. Je suis d’ailleurs affecté à titre principal à l’Institut supérieur de philosophie (ISP) et bientôt affilié au Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l'éducation et la formation (GIRSEF), qui est le laboratoire en sciences de l'éducation de l’UCLouvain. Mon champ de recherche s’étend donc à la fois sur des enjeux éducatifs actuels, l’histoire des idées éducatives et les questions éthiques relatives à l’éducation.
Par ailleurs, l'enseignement que je propose en éthique professionnelle est très concret : j’ai à cœur de placer les étudiant·es dans des situations réelles ou des cas pratiques ayant déjà eu lieu et qu’ils·elles vont rencontrer plus tard dans leur travail. Des cas de harcèlement, d'agression, de discrimination, mais aussi des cas de plagiat, des enjeux délicats liés au numérique ou encore des problèmes éthiques liés à la relation avec les parents, les collègues, les directions, etc. Ces mises en situation poussent les étudiant·es à réfléchir de manière critique et collective. Apprendre des théories philosophiques et développer une véritable compétence éthique, voilà un de mes objectifs pédégogiques.

L'éthique professionnelle des enseignant·es est un domaine qui prend de l'ampleur aujourd'hui ?

C’est un domaine en pleine émergence. Au Québec, cette dimension est intégrée aux compétences requises pour la formation des enseignant·es depuis quelques années déjà. En Belgique, cela remonte au décret de la réforme proclamé en 2021 par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et approuvé en 2023, relatif au Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire. Cette compétence éthique est essentielle, car la société, notamment au Canada, se judiciarise de plus en plus, avec de nombreux procès intentés contre les enseignant·es pour mauvaise conduite. Dans la grande majorité des cas, les enseignant·es perdent ces procès, car la loi les protège peu en matière d'éthique professionnelle. Il est donc crucial de former et de sensibiliser les futur·es enseignant·es à ces enjeux avant qu'ils·elles n'entrent dans la profession.

Quels sont, selon vous, les grands défis actuels dans le domaine de l’éducation, et comment la faculté EDUC peut-elle y répondre ?

L'un des défis majeurs est la pénurie d'enseignant·es, qui touche de nombreux pays francophones, notamment la Belgique et la France. On pourrait imaginer que réduire la durée des formations pourrait accélérer l’arrivée des enseignant·es sur le terrain mais cela risque de créer des professionnels moins bien préparés, alors même que les responsabilités des enseignant·es augmentent sans cesse.
Un autre défi, c'est la place croissante du numérique dans l'éducation. La technologie évolue rapidement, et les lois tardent parfois à se mettre en place. Et c'est là que l’éthique professionnelle joue un rôle crucial : il faut que les enseignant·es puissent réfléchir sur des situations où la loi est encore floue, et où ils·elles doivent agir de manière responsable dans des situations parfois très délicates et sensibles.
Le troisième défi concerne le travail des enseignant·es qui se déroule de plus en plus en équipe, avec d'autres professionnels comme les psychologues ou les orthophonistes. L’enseignant·e n’est plus seul·e dans la salle de classe. Il est essentiel de les préparer à cette collaboration interdisciplinaire, qui est devenue une réalité incontournable.

Quelles innovations ou projets éducatifs souhaitez-vous développer ?

Avec mon collègue Marc Blondeau, nous avons pour projet de travailler sur des méthodes de formation et d'enseignement basées sur des situations problèmes, pour faire réfléchir les étudiant·es sur leurs pratiques, notamment lors des stages. Plutôt que de rester dans un cadre d’enseignement magistral, nous utilisons, tous les deux à notre manière et sans s’être concerté pour l’instant, des cas concrets, souvent issus de la réalité des écoles, pour faire réfléchir les étudiant·es. Par exemple, j'utilise des situations inspirées de mes propres expériences ou d'études de cas réelles pour confronter les étudiant·es à des situations éthiques problématiques.
Cela leur permet de développer une réflexion critique et collaborative, en prenant en compte non seulement les aspects théoriques, mais aussi les réalités pratiques du métier. Cette approche pédagogique, plus active et participative, me semble particulièrement innovante et adaptée aux défis actuels de l’éducation.

Quel message aimeriez-vous adresser à la communauté universitaire ?

Je suis ravi de rejoindre l’UCLouvain et de participer à ce projet novateur qu'est la faculté EDUC. Je crois fermement en l’importance de la réflexion éthique dans la formation des enseignant·es, surtout dans un monde en constante évolution. J’espère contribuer à les préparer à faire face aux défis éducatifs actuels, mais aussi à devenir des actrices et des acteurs éthiques et responsables dans leur profession.

Trois ouvrages à découvrir

Alors qu'il était professeur adjoint au Département de l’enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d’éducation de l’université de Sherbrooke au Canada, Christophe Point faisait paraître en 2023 "Université et démocratie : la pensée éducative de John Dewey" aux Presses de l’Université Laval. 

"Les universités sont parfois des institutions millénaires et elles sont désormais des lieux familiers pour des millions de personnes étudiant dans le monde entier. Bien souvent, elles peuvent nous paraitre immuables et à l’abri des bouleversements de notre époque. Et pourtant, l’université telle que nous la connaissons aujourd’hui est relativement récente et son avenir n’est en rien assuré. De son futur, plusieurs imaginaires tentent d’en brosser le portrait. C’est à l’un de ces imaginaires que nous souhaitons consacrer ce livre ; celui d’un idéal un peu fou, né à l’aube du xxe siècle, dans l’élan américain pour une idée nouvelle, celle de la démocratie".
À travers des récits de grandes expérimentations universitaires américaines du xxe siècle et les écrits du plus grand philosophe et pédagogue américain de son époque, John Dewey, ce livre explore sa philosophie de l’éducation à l’œuvre sur la question des universités et envisage la possibilité d’imaginer, avec lui, une université résolument tournée vers l’éducation de tous et de toutes. "Une université cherchant à rendre vivantes les convictions démocratiques dont, un siècle plus tard, nous semblons avoir encore bien besoin".

Ecoutez également le podcast réalisé par l'équipe des Presses de l'université Laval.
Dans cet entretien, Christophe Point souligne l’actualité de la pensée de John Dewey pour l’université aujourd’hui. Pourquoi la fréquenter ? À quoi sert-elle ? Que peut-on rêver pour elle ?

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Former les futurs enseignants et enseignantes à l’éthique professionnelle : constats, attentes et perspectives

Quelle formation à l’éthique professionnelle les universités doivent-elles offrir aux futurs enseignants et enseignantes? Avant de répondre à cette question, soulignons d’emblée que l’éthique s’apprend. Mais de quelle éthique parle-t-on? En effet, les personnes enseignantes du Québec ne bénéficient pas d’un code d’éthique. Elles ne sont pas non plus regroupées dans un ordre professionnel qui leur fournirait des repères déontologiques. Néanmoins, elles cherchent des orientations éthiques pour réfléchir sur leur travail, mais aussi pour prendre des décisions responsables. Des cours pour former à l’éthique enseignante sont maintenant proposés dans la plupart des universités québécoises. Cet ouvrage collectif présente l’état des lieux sur cet enseignement.
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Pratiquer la philosophie

Expérimenter au lycée

La pédagogie est un carrefour, celui-là même où se croisent les sciences de l’éducation et où l’activité de recherche peut être conséquente par l’apport théorique et pratique de nombreuses sciences. Mais, plus encore qu’un carrefour, la pédagogie peut être un laboratoire indispensable à toute réflexion philosophique. Elle est le lieu où le philosophe peut véritablement travailler. C’est là où une théorie philosophique pourra construire sa véritable grandeur.
La philosophie de l’éducation trouve ainsi dans la pédagogie un travail d’application, d’attention et de construction de la validité de ses arguments à l’aune du réel. La pédagogie offre un univers à la réflexion philosophique qui descend alors de son ciel étoilé pour éclairer enfin un monde réel. Mais si l’on souhaite lire ce livre de façon plus légère, peut-être peut-on se contenter de penser que l’on a en face de soi le récit d’un professeur de philosophie qui, après trois ans d’expérience et de pratique en lycée, se demande ce qu’il a finalement appris de ses élèves.
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