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Institutions & the City: The Role of Architecture

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14 February 2023, modified on 6 December 2024

Un livre et une exposition pour  se positionner dans et sur la ville

Qu’est-ce qu’une institution ? Qu’est-ce que les institutions peuvent signifier aujourd’hui et pour l’avenir ? Comment l’architecture tient un rôle dans l’instauration, l’identification et la perpétuation de ces structures sociales ? Ces questions ont été explorées par les étudiant·es de la faculté d’architecture LOCI du site de Bruxelles. Durant trois années, plusieurs cours du Bachelier au Master se sont saisis de cette thématique pour aboutir à la publication d’un ouvrage et la réalisation d’une exposition.

Par Gérald Ledent et Cécile Vandernoot (LOCI/UCLouvain) 

Fonctionnement et transmission

Les institutions organisent les rapports sociaux. Elles régulent nos sociétés selon un ensemble de pratiques, de rites et de règles de conduite. L’État, la religion, l’armée, la justice, l’université, la famille, le mariage, etc. forment ce que l’on nomme des « institutions » et orientent nos actions, délimitent l’espace du possible et du pensable. La portée d’une institution dépend de sa compréhension par l’ensemble d’une collectivité. Ainsi, bien qu’objectivée par une série de règles, inscrite dans des lieux ou activée par des rites hérités du passé, elle est en perpétuelle mutation et forme donc une entité complexe.

L’architecture formalise, dans l’espace, des systèmes de valeurs et représente des idéologies dans des structures physiques pérennes, que cela soit dans ses édifices ou dans l’espace de la ville. Elle instaure et révèle le mode de fonctionnement d’une institution à travers différentes stratégies : la manière de se positionner vis-à-vis de ce qui l’entoure, de s’adresser aux individus, de les accueillir, de les rassembler comme de les tenir à l’écart, de hiérarchiser l’espace et les publics qui le fréquente. Qu’il s’agisse d’institutions politiques, religieuses, militaires, économiques et culturelles, leurs valeurs et symboles ont fréquemment été inscrits dans l’espace et dans la pierre. Les comprendre, c’est aussi réaliser que lorsque les idées se matérialisent, les mécanismes de leur production et de leur transmission peuvent aussi être contrôlés, confortant des systèmes de pouvoirs en place et créant des inégalités.

Si l’architecture installe très pratiquement des rapports entre les personnes, elle véhicule aussi des discours. Pendant longtemps, comme le souligne Victor Hugo, l’architecture a été la grande écriture du genre humain. Elle a façonné des espaces en les rendant signifiants pour des groupes élargis de personnes. En ce sens, elle fonctionne comme un repère pour le groupe.

La ville de Bruxelles pour cas d’étude

À Bruxelles, le Tracé royal s’inscrit dans cette logique d’institutionnalisation par l’espace. Il profite de la topographie naturelle et de la ligne de crête pour marquer dans et par l’espace l’ordre de la ville et du pays. Il est le lieu d’ancrage de plusieurs types d’institutions. Celles-ci s’appuient sur l’histoire des pouvoirs successifs qui se sont installés sur les hauteurs de la ville, et ce depuis le 11e siècle, époque où s’y dressait le premier château du Coudenberg. En 1830, le Tracé royal désigne un tracé « thématique » dédié à la monarchie parlementaire belge, reliant le Domaine Royal de Laeken au Palais de justice en passant par le Palais royal. Parcours long de six kilomètres, il résulte directement de la politique expansionniste de la ville développée par Léopold II. Il devient clairement le lieu de démonstration du jeune État belge qui, par le biais de l’espace et de son organisation, exprime la structure du pouvoir en Belgique, reliant dans un même tracé, le pouvoir judiciaire, politique et religieux.

Décalage entre vécu et perception

Il est apparu régulièrement que les étudiant·es perçoivent un décalage entre leur vécu et les institutions qu’ils fréquentent ou qu’ils connaissent, souvent appréhendées comme des vestiges du passé. Pour beaucoup aussi, elles apparaissent comme désuètes et leurs significations sont difficiles à comprendre engendrant au mieux perplexité, au pire détachement et rejet.

Pour ce double projet de publication et d’exposition, la recherche scientifique s’est adossée à l’enseignement universitaire et aux explorations des étudiant·es en architecture en suivant deux axes. Le premier concerne l’architecture institutionnelle dont nous héritons. Les réflexions s’orientent autour du devenir de ces structures du passé alors que beaucoup semblent fatiguées et peinent à se renouveler. Certaines institutions comme le Palais de justice par exemple se vident suite à des restructurations ou simplement l’évolution des technologies, laissant des espaces vacants à des endroits stratégiques de la ville. Certains espaces publics aussi sont vidés de leur sens premier et appellent à être réinvestis. C’est précisément ce réinvestissement par des pratiques et des usages contemporains qui est visé par les projets des étudiant·es. Le second axe concerne le versant immatériel des institutions. Face à des modes de vie en évolution, se pose la question des valeurs encore partagées aujourd’hui dans nos villes ou plus largement nos sociétés, et comment l’architecture des édifices et la structure urbaine peuvent les soutenir, les appuyer et les transmettre. L’ensemble de ces réflexions met en avant de manière inédite la valeur de la production graphique et les méthodes pédagogiques de la faculté d’architecture LOCI (images 1, 2, 3). 

Des outils graphiques pour appuyer un propos

Les institutions demandent à être réinventées dans leurs formes immatérielles comme matérielles. L’impact de l’architecture sur nos systèmes de pensée, nos manières de (nous) construire à l’avenir, nos besoins sans doute différents de légitimité est évident. 

L’intérêt de rassembler des réflexions autour de thématiques communes a motivé les étudiant·es, jeunes citoyen·nes, à prendre position, face à ce monde en changement où les structures de société évoluent. Confronté·es à l’histoire, menant l’enquête grâce à la mise à disposition de documents d’archives et au contact de la ville et de ses experts, ils·elles ont tiré des leçons et mis en évidence des continuités comme des ruptures dans les manières d’inscrire les institutions dans la ville de Bruxelles. C’est par le dessin, outil de représentation par excellence de l’architecte, que leurs trou-vailles et points de vue sont transmis. Par le passé, des projets utopistes ont singulière-ment mis en avant ce rôle de l’architecture pour développer de nouveaux récits collectifs et de nouveaux projets de société. À cet égard, le pouvoir visionnaire de l’utopie et de la dystopie a eu l’occasion d’être réexploré et a donné lieu à des collages inédits, autre moyen de communication fétiche des architectes (images 4, 5, 6).

Des auteur·es invité·es pour ouvrir les domaines de compétences

Si l’exposition a concentré l’attention sur le cas de Bruxelles, le livre présente un propos plus large. Dans le chapitre inaugural, Delphine Dulong s’attache à définir ce qu’est une institution, comme système normatif rassemblant la pensée et l’action de groupes de personnes, comme idéologie partagée par des éléments matériels ou immatériels. Partant de cette définition, elle clarifie les principes de fonctionnement des institutions et pointe leurs évolutions perpétuelles, soumises à des rapports de force qui montrent que toute institution est toujours retravaillée de l’intérieur comme de l’extérieur. L’intention institutionnelle se manifeste dans l’espace et se retrouve codée dans des textes. Les bâtiments et les espaces urbains ne sont pas seulement représentés par des figures, des emblèmes ou des éléments stylistiques. Ils incarnent également des relations sociales. Dans le deuxième chapitre, Sophia Psarra explore la manière dont les institutions sont spatialisées et l’influence des textes normatifs sur les relations qui s’y déroulent à partir de trois contextes différents : la structure urbaine de la ville de Venise, l’organisation spatiale du Parlement britannique et les effets du rapport Parker Morris sur les normes de logement. Bruxelles et le Tracé royal, terrain fertile d’investigations pour mettre à l’épreuve et vérifier les notions théoriques développées, ce patrimoine dont nous héritons, est issu d’une cristallisation dans l’espace des figures du pouvoir du passé. La manière dont ces rapports se sont mis en place progressive-ment à travers des équilibrages entre le bas et le haut de la ville est traduite dans une cartographie évolutive (image 7). Celle-ci raconte l’origine, les évolutions et les raisons de l’inscription physique des lieux de pouvoir sur le territoire, entre édifices et ville.

À travers une relecture de la composition de la place Royale, Christian Gilot retrace les enjeux et la portée symbolique de la formation du quartier royal (1775-1875). Il cerne et rend visible, à partir des transformations de Charles de Lorraine et des architectes simplement sollicités ou concrètement à la manœuvre, ce que la construction de ce lieu a cherché à inscrire durablement. L’exploration des éléments urbains et d’architecture, des édifices eux-mêmes ou des relations qu’ils entretiennent avec la ville laisse apparaître des réponses spatiales similaires entre des institutions pourtant diverses et des processus de mutation communs étonnants. De ces relations croisées entre institutions bruxelloises sont extraites des investigations et des trouvailles des étudiant·es. Quinze histoires courtes, qui s’attachent à décoder le fonctionnement et l’évolution de certaines institutions bruxelloises – le Palais de justice, l’église du Sablon, les Musées royaux des Beaux-Arts, la place Royale, l’église du Coudenberg, Bozar, la banque BNP Paribas Fortis, la Colonne du Congrès, la Cité administrative, le Botanique, l’église royale Sainte-Marie, l’église de Laeken, etc. – à travers différentes stratégies d’organisation spatiale, dévoilent à la fois ce qui les lie, se répète, ou, au contraire, les rend singulières. Ensemble, elles racontent les certitudes, les atermoiements et le possible futur des institutions ancrées sur ce fameux tracé (images 8, 9).

Des attitudes nouvelles pour penser l’avenir

La posture que l’on adopte vis-à-vis de l’héritage culturel et matériel est liée aux valeurs idéologiques que porte chaque société, qui elles-mêmes éclairent sur toutes les politiques de démolition, réemploi, réhabilitation, restauration, etc. Aujourd’hui, il ne semble plus possible de tenir des discours aussi univoques et hiératiques qu’au 19e siècle. Les institutions ont tendance à s’hybrider, tant dans leurs messages que dans leurs formes construites. L’architecture a un rôle majeur à jouer et celui-ci est présent dès le choix structurel d’un édifice. La recherche d’une neutralité fonctionnelle propice aux adaptations des évolutions futures de la société est centrale dans la posture que développe Dietmar Eberle, en accord avec celle que nous adoptons. Le glissement opéré en termes de messages et d’occupations des lieux monofonctionnels se fait le reflet d’une attitude qui confirme une tendance à plus de flexibilité fonctionnelle, de nuances et d’inventions spatiales par une hybridation décomplexante.

Cet ouvrage offre un point de vue sur le rôle donné à l’architecture comme une des expressions de la structure de notre société qui résonne tout particulièrement aujourd’hui, dans une période où les repères sociaux, politiques et culturels sont boule-versés. Une fois encore, il est temps d’inventer de nouveaux rapports aux espaces des institutions pour mieux vivre ensemble.

Institutions & The City: The Role of Architecture, Gérald Ledent, Cécile Vandernoot (Eds.), Park Books, 2022, 224 pages, Édition trilingue (français-néerlandais- anglais). Commander en ligne