Tisser un fil narratif avec Luca Giacomoni
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Le metteur en scène Luca Giacomoni est notre artiste en résidence de cette année. Depuis septembre 2020, il travaille avec une quinzaine d’étudiant·es de BAC 2 et BAC 3 qui ont choisi de suivre son cours, inscrit dans la mineure en culture et création. Comment se déroule le campus ? Qu’est-ce qui s’y joue ? Reportage sur le vif.
L’important n’est pas la destination mais le chemin… Cette maxime célèbre représente bien le travail que Luca Giacomoni mène avec les étudiant·es du campus « Artiste en résidence ». Un chemin tortueux, peu balisé et déroutant. De surcroît en cette période de confinement qui oblige les étudiant·es à suivre l’atelier via leurs écrans.
Se laisser gagner par l’inconnu
Depuis le début de cette année, à l’occasion des nombreuses rencontres publiques auxquelles il a participé, à travers les interviews qu’il a accordées, dans les mises en scènes et les textes qu’il partage, l’artiste n’a de cesse de l’affirmer : il importe de nous délester de nos idées reçues, de nos croyances limitantes, de faire abstraction de ce qui a été ou de ce qui sera pour se concentrer sur ce qui est… Concrètement, depuis le début du séminaire, les étudiant·es s’approprient les outils essentiels de la narration. Ils et elles apprennent à raconter des histoires, à produire des récits nouveaux en les articulant avec d’anciens récits, en se fondant sur leurs propres émotions, leur vécu. Si au départ cette introspection est troublante et inhabituelle dans un cursus universitaire, les étudiant·es prennent vite confiance dans le processus, confie Luca Giacomoni. Ils acceptent de se laisser gagner par l’inconnu.
Ecrire une histoire
Au sein du campus AER, on touche à des thématiques fortes et essentielles. Obésité, domination, harcèlement, prostitution, boucs émissaires… autant de sujets coup de poing presque épiques, qui renvoient à des mythes fondateurs. Luca n’hésite d’ailleurs pas à évoquer celui du fil d’Ariane pour illustrer ce qui se joue lors de ces rencontres. Son approche pédagogique consiste à tisser une trame, un fil narratif, à offrir un outil pour le voyage du retour à ces jeunes écrivain·es qui peuvent se sentir perdu·es au milieu d’un labyrinthe, dédale à l’intérieur duquel ils ou elles cherchent un sens, une issue. L’art narratif prend alors sa dimension essentielle. Ecrire une histoire, sa propre histoire devient un acte de construction identitaire. Une fois le cadre posé, les étudiant·es seront ensuite invité·es à voir si une œuvre, une histoire, un récit peut faire écho à ce qui se vit aujourd’hui. A quel endroit Homère, Ovide, Shakespeare, Rilke deviennent vivants ? A quel endroit du tissu social ? Quelles sont les personnes qui peuvent dire ces textes et en retrouver la force originelle ? Après un temps de préparation important, les étudiant·es se mettront en danger et iront vers des publics peutêtre marginalisés pour voir comment ces textes parlent et résonnent en eux. Il faudra essayer des choses. Le texte sera un outil de rencontre avec l’autre. Un programme mystérieux qui enthousiasme Johana et Jarod, deux étudiant·es qui participent au campus. Ce travail d’écriture est pour nous une respiration, une bulle de sens particulièrement vitale en ces temps complexes. Un travail dont le fruit sera présenté le jeudi 22 avril à l’Aula Magna de Louvain-la-Neuve (Foyer du Lac), à l’occasion de la soirée de clôture de la résidence de Luca Giacomoni.
Écrire l’Université de demain… et se perdre en chemin
Par Aline Aulit, participante à l’atelier d’écriture
La résidence de Luca Giacomoni infuse dans l’ensemble de l’UCLouvain, et certains membres de la communauté ont la chance de mener avec lui et son collectif Why Stories, une réflexion collective portant sur l’Université de demain. Une voie que nous empruntons via des chemins accidentés.
Académiques, étudiant·es, membres du personnel administratif, chercheur·euses, partenaires extérieurs… un petit groupe très ecclectique d’une quinzaine de personnes suit depuis septembre un atelier d’écriture sous la houlette de notre artiste en résidence Luca Giacomoni et de divers intervenants du Collectif Why Stories, premier laboratoire des arts de la narration en France. Au départ, il s’agissait d’écrire un manifeste pour l’avenir de l’Université … une sorte de récit collectif, utopique ou sérieux qui pourrait être remis symboliquement aux responsables de notre institution dans le cadre du 600e anniversaire de notre Université.
Place à l’incertitude !
Mais dès la première séance, nous sommes plongés dans l’inconnu… Comme en écho avec la situation particulière que nous vivons, le procesus d’écriture proposé par Why Stories nous met concrètement et littéralement face à nos croyances limitantes. Adieu consignes et cadre précis chers à nos réflexes universitaires… Place à l’incertitude ! Lorsque Luca Giacomoni évoque le « changement de paradigme », ce n’est pas théorique, il nous met à l’épreuve, nous le fait éprouver par la plume. Chemin faisant, nous acceptons de nous défaire de nos postures professionnelles pour nous placer à un autre endroit. Aidés en cela par l’irruption presque systématique de notre vie privée au travers de nos écrans Teams ! Un chat qui surgit sur un bureau, des enfants qui reviennent joyeux de l’école, un·e conjoint·e qui fait irruption pour annoncer l’heure du repas… Cette sphère personnelle que nous avons pour habitude d’occulter s’impose et reprend ses droits.
Un travail de fond
Peut surgir alors un questionnement plus juste, plus honnête, plus profond. Accepter d’être dans le processus et pas dans le résutat, briser les codes et changer les rôles, assumer de prendre le pouvoir en prenant la parole… Tout ce travail de fond, que nos animateurs souhaitent lent et intense, nous prépare à initier notre récit collectif. A l’urgence, ils préfèrent le sens. A ce stade de l’atelier (nous sommes en décembre), aucun de nous n’a d’idée précise de son aboutissement. Par contre, nous sommes animés d’un désir commun pour notre récit collectif. Il devra replacer l’humain au cœur de nos fonctions et de notre Université. Un défi enthousiasmant !