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Rencontre avec Claudio Stellato, artiste en résidence 2021-2022

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8 September 2021, modified on 6 December 2024

 

 

En juin dernier, nous avons pu saisir au vol notre prochain artiste en résidence de passage et en repérage à Louvain-la-Neuve. Entre répétitions et tournées à l’étranger, cet homme hyperactif aux mille projets nous a accordé quelques minutes pour un entretien express.

« J’ai besoin d’avoir une vie artistique »

Qu’est-ce qui fait avancer Claudio Stellato ?

CS : Manger léger, comme ça tu n’as pas de coup de barre (rires). Etre toujours très actif. Je suis quelqu’un qui est  toujours  dans  le faire et pas dans le parler. Je préfère d’abord faire et parler ensuite. J’ai besoin d’avoir une vie créative, mais je ne peux pas expliquer pourquoi. J’y ai réfléchi. J’imagine que tout le monde peut devenir créateur, et ça serait bien que ce soit le cas. Mais il y a des gens pour qui c’est juste une nécessité sinon ils se sentent mal. Je n’ai pas forcément besoin de faire des spectacles dans la vie, mais j’ai besoin d’avoir une vie artistique. Bien sûr, la création artistique, c’est mon travail. Il me fait vivre. Mais quand je manque de travail, et cela peut arriver par exemple en période de confinement, je reste artistique dans d’autres activités, dans la cuisine, dans ma manière de changer l’environnement où j’habite, dans ma façon de me brosser les dents…

Ça veut dire quoi « être artistique » ?

CS : Pour moi, c’est être curieux, transformer le réel, changer sans cesse ses habitudes. Mais je crois que c’est très personnel et propre à chacun. Un match de foot peut être artistique. C’est un spectacle. Ça dépend du regard que l’on porte sur le monde et qui peut être émerveillé ou non par ce qu’il voit.

Quelle est la fonction de l’artiste ?

CS : Réveiller le cerveau. L’éveiller à ce qu’il voit et entend. Il ne s’agit pas d’abord d’apprendre quelque chose, de donner des informations, mais de s’éveiller à cette sensation : « Ah ! Oui ! On peut voir et faire les choses autrement ». Ou bien, en écoutant un morceau de musique, se dire : « Ah c’est ça ! Ça me touche.»

Comment ressens-tu la manière dont les artistes ont été considérés durant la crise du COVID ?

CS : On n’est pas nécessaire… mais on est nécessaire ! En fait le confinement n’a pas duré assez longtemps pour qu’on aille dans la rue pour montrer à quel point on est nécessaire… Plus sérieusement, cette crise a montré qu’on peut tranquillement vivre sans nous. Ça c’est clair. C’est ce que j’ai observé. On attendait que les terrasses ouvrent, pas les théâtres.

Et ça t’inquiète ?

CS : Non. Pourquoi pas ? Ce n’est pas au public de dire que nous sommes nécessaires. C’est à nous, les artistes, de faire comprendre que c’est le cas. Il revient à l’artiste d’amener du public, pas au public d’amener du public. C’est notre travail à nous.

Après, bien sûr, il y a des situations dramatiques. Il y a les problèmes financiers des petites compagnies qui ont dû se séparer de collaborateurs·trices parce qu’elles ne pouvaient plus les payer… Toute cette détresse-là me touche et je la comprends.

Et du côté de ta propre Compagnie ?

CS : Nous qui sommes constamment en tournée, c’est en 2022 que nous risquons de payer. Cet été, nous faisons une tournée de récupération, qui est le résultat de différents reports et qui se concentre sur 5 ou 6 mois. Mais les programmateurs qui viendront nous voir ont leur calendrier rempli jusque 2023- 2024 à cause de tous les spectacles reportés. On verra si ça se confirme…

Comment vis-tu cette incertitude ?

CS : Quand tu arrives dans une zone où tu ne peux plus avancer, soit tu arrêtes, soit tu cherches une solution. Chacun a sa manière de rebondir. Moi je dois aller très loin avant de rebondir. En décembre 2020, par exemple, j’ai eu ma crise de confinement. Je me suis réveillé un matin et je n’en pouvais plus. Après il m’a fallu 10 mois pour réagir parce que, pour moi, les premiers mois étaient magnifiques.

Après 20 ans sur la route, j’étais pour la première fois immobile dans un même endroit. Incroyable ! C’était ce qu’il me fallait, en fait. J’ai vraiment adoré ce moment. Et après 10 mois, là ça m’a manqué ce que j’ai fait pendant 20 ans. J’ai éprouvé le besoin de voyager, de voir de nouvelles choses. Toute ma vie j’ai changé de lieux de résidence, dans différents pays, dans des maisons, des appartements, des caravanes, des bateaux. Je me vois mal me fixer un jour.

Et donc quand tout ça a commencé à me manquer, j’ai pris le camion, je suis allé au Portugal faire du surf. Et dans le camion j’ai commencé à dessiner. Après j’ai dessiné sur le camion, à double main. Et quand je suis rentré en janvier, après cette pause radicale, j’étais prêt à me remettre en projet.

Qu’est-ce qui caractérise ton travail artistique ?

CS : C’est clairement la relation entre le corps et l’objet. Et aussi le fait que chaque spectacle est radicalement différent du précédent, à part quelques constantes : pas de paroles, mais du mouvement et des objets. C’est pour cela qu’il me faut beaucoup de temps pour créer, pour m’éloigner du spectacle d’avant.

Aujourd’hui, et c’est très personnel, j’ai vraiment envie de travailler avec les passions qui m’accompagnent plutôt que de vouloir aborder tel ou tel sujet. A certains moments de ma vie, j’ai une passion et je me pose la question de savoir comment je peux mettre cette passion sur le plateau.

Pour l’instant, ma passion c’est le bateau, naviguer, faire le tour du monde en voilier. Cela me conduira peut-être à amener le bateau au théâtre ou déplacer le théâtre sur le bateau… Et puis il y a le dessin que j’ai toujours pratiqué, mais plus intensément ces derniers temps avec le confinement. Ce qui m’intéresse ici, ce n’est pas le résultat final, mais c’est le geste. Et c’est vrai que je me suis entraîné toute ma vie autour du geste… C’est ma force et je l’utilise.

Tu évoques le geste, le mouvement, le corps. Ton travail semble physiquement très exigeant.

CS : Je suis quelqu’un qui est dans le corps, comme un sportif de haut niveau. Mon corps est un outil parmi d’autres à ma disposition pour raconter des choses. Il y a eu des périodes de ma vie où je m’entraînais huit heures par jour. Je ne faisais que cela, du lundi au dimanche, sans arrêt. Avec toute une connaissance intime du corps, de ses problèmes, de ses forces et de ses limites. Et à un moment donné, c’est comme une drogue que tu ne peux plus arrêter. Aujourd’hui encore je suis obligé de m’entraîner et surtout de faire des choses qui me fatiguent. J’ai besoin d’aller dormir fatigué !