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La force du film documentaire

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15 February 2022, modified on 6 December 2024

Ancien artiste en résidence (2013-2014), diplômé de l’UCLouvain (philologie classique) et de l’IAD, Pierre-Paul Renders est l’auteur de longs métrages de fiction et nombreux documentaires. Il présentera dans le cadre du festival GO FUTURE sa dernière série documentaire « Des arbres qui marchent ». Il nous livre son regard de réalisateur sur la pertinence du film documentaire et nous présente son dernier opus.

Propos recueillis par Frédéric Blondeau

Le film documentaire donne des clés de compréhension différentes, fait entendre des voix qui nous parlent d’ailleurs.

Quelle est la spécificité du film documentaire par rapport au film de fiction ?

PPR On oppose volontiers le documentaire à la fiction. Or le film documentaire couvre un champ très large qui va du reportage TV au film d’entreprise en passant par des documentaires de création qui sont quasiment des fictions tant elles sont personnelles et originales. Pour moi, la frontière entre les deux genres est poreuse. J’insisterais plutôt sur ce qui les rapproche : le médium audiovisuel revêt une force particulière par rapport à d’autres médias. Et la grande force du cinéma, quelle que soit son approche, se joue à un endroit très précis : il ne s’adresse pas seulement à l’intellect, à la compréhension. Il éveille des émotions par la voie artistique et poétique. Il donne des clés de compréhension différentes. Quand on regarde un film et qu’on en ressort changé·es, c’est rarement parce qu’on a appris des choses. C’est parce qu’on a ressenti des émotions. Pour apprendre, il n’y a pas mieux qu’un bouquin, une conférence, un journal de qualité. Dans le documentaire, on crée des soifs, des envies de découvrir de nouvelles réalités. On fait entendre des voix qui nous parlent d’ailleurs.

Qu’est-ce qu’un bon film documentaire ?

PPR Selon moi, c’est un documentaire réalisé par un·e auteur·e qui, d’une manière ou d’une autre, parle en « je », qui livre un regard personnel et laisse une place au spectateur. C’est là que se situe la différence entre le documentaire et le reportage. Dans le reportage, on a souvent une voix off qui nous dit quoi penser. Un bon film documentaire doit proposer un chemin d’émotion et de création qui est personnel et qui est censé nous ouvrir à des endroits de nous-mêmes qu’on ne connaissait pas.

Par l’émotion et par l’exemple, certains documentaires nous reconnectent à un désir de vie dans lequel on a envie de s’engager

Peut-on dire que le cinéma documentaire ou de fiction, parce qu’il touche aux émotions, a une capacité mobilisatrice particulière et peut conduire à l’action ? On pense par exemple au film « Demain » de Cyril Dion…

PPR Oui, je le pense. C’est Michel Dupuis (Ndlr : Pr. de philosophie à l’UCLouvain) qui dit, dans ma série documentaire « Des arbres qui marchent », que la science ne convertit personne. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas de savoir pour se mettre en mouvement. Par ailleurs le côté injonctif ou prescriptif disant : « maintenant il faut agir, ça ne peut pas continuer comme ça », ça fait peser un poids de responsabilité qui paralyse plus qu’autre chose. « Ce qu’on fait par volonté ne dure pas, ce qui dure c’est le désir », suggère la théologienne Marion Muller-Collard. Je pense qu’une des vocations possibles du documentaire, c’est de nous reconnecter à notre désir profond. Et le film Demain est un cas d’école : par l’émotion et par l’exemple, il nous reconnecte à un désir de vie dans lequel on a envie de s’engager parce qu’il correspond à un désir profond qui nous anime toutes et tous. Beaucoup de documentaires qui ont trait à la transition, à la crise écologique, au rapport à la nature, qui est le sujet du festival GO FUTURE, portent en eux un enjeu fort de mobilisation. Et je suis frappé de voir que nous sommes tellement déconnectés du vivant que nous avons besoin de la technologie et de l’œil électronique de la caméra pour nous reconnecter avec la nature.

Comment se porte le film documentaire en Belgique ?

PPR Il devient de plus en plus difficile de trouver des aides pour la production de documentaires de création. La télévision de service public est en train de démissionner complètement dans ce domaine. On se retrouve devant d’énormes difficultés pour financer des films qui sortent un peu des normes et des commandes. A côté de cela, on a une pépinière de créateurs en Belgique, avec une excellente production de documentaires, avec des films primés en permanence. Mais ça se fait avec très peu de moyens. On se situe dans une logique où on préfère suivre l’audience plutôt que la tirer vers le haut et lui faire découvrir de nouvelles choses. C’est un peu comme une industrie qui ferait des économies sur son département recherche et développement. On investit dans des productions classiques et à vouloir toujours faire la même chose, on lasse le public et finalement plus personne ne voudra encore voir de documentaires de ce genre… En parallèle, il existe un public grandissant pour aller voir en salle et sur des plateformes spécialisées du vrai documentaire de création.

Vous venez de réaliser « Des Arbres qui marchent », un film documentaire en huit épisodes, qui sera programmé dans le cadre du Festival GO FUTURE. De quoi s’agit-il ?

PPR La série propose un parcours de sens en huit étapes pour changer de regard, mobiliser des ressources intérieures et avancer dans un monde qui bascule. C’est suite à une demande du « Mouvement pour un Monde Meilleur » que je me suis lancé dans une démarche personnelle fondée sur mes préoccupations citoyennes, mes lectures, mes intuitions. Entre mars 2019 et août 2020, je suis allé à la rencontre d’une trentaine de personnes pour échanger avec elles sur des questions de sens, avec l’envie et le besoin de changer de regard, de mode de pensée. Le but de la série n’est pas de donner des réponses ou d’affirmer des vérités, mais d’initier des changements de regard, de mettre la pensée en mouvement, de susciter la réflexion personnelle et collective. Plutôt que de chercher à répondre à la question « Que faire ? », j’ai voulu remonter aux racines de la situation écologique et questionner le sens, dans les dimensions psychologiques, philosophiques et spirituelles. De manière simple, conviviale et abordable par le plus grand nombre, j’ai tenté d’ouvrir des portes sur des questions complexes.

A quels publics cette série est-elle destinée ?

PPR Elle est destinée à une large audience de toutes convictions. Elle espère interpeller toute personne ouverte et intéressée par des regards différents. Initiée par un mouvement chrétien, elle ne se prive pas d’interroger les responsabilités du christianisme dans la crise actuelle et les « conversions » en cours ou à opérer. Elle fait en quelque sorte le pari d’entrelacer une parole à dimension chrétienne avec des réflexions venant d’horizons non-confessionnels.

Où peut-on découvrir cette série documentaire ? Comment est-elle diffusée ?

PPR La série a été réalisée en autoproduction dans un esprit de sobriété volontaire, avec de petits moyens techniques. Elle échappe aux logiques de marché (formatage, lissage…) pour garder autant que possible indépendance, cohérence et (im)pertinence. Elle est mise à disposition libre de toute personne ou association qui souhaite l’utiliser, tant pour une réflexion individuelle que pour des animations, activités, colloques, soirées thématiques… Elle est donc proposée gratuitement, avec invitation à « participation consciente » qui permet à chacun·e d’exprimer sa gratitude et de soutenir financièrement le projet dans ses futurs développements.

Découvrez la série Des arbres qui marchent en ligne